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IntroductionOnly 14 pages are availabe for public view
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Abstract
Critique d’art, critique littéraire, journaliste et directeur de revues français, Félix Fénéon (1861-1944) est l‟une des figures les plus curieuses à l‟orée du XXe siècle. Entre mai et novembre 1906, F.F. 1 publie la rubrique des Nouvelles en trois lignes au quotidien d‟information “Le Matin ”, pour rapporter anonymement 2 les dépêches d‟agences de presse. Le descriptif de la formule rédactionnelle figure au journal sept mois avant la prise en charge de l‟auteur :
“Derniers télégrammes transmis par nos fils spéciaux des bureaux du ”Matin” à Londres et à New-York aux bureaux du ”Matin” à Paris. Dernières nouvelles de nos correspondants particuliers et des agences. ”3
Bien que les NTL 4 soient publiées au “Matin ” comme des brèves journalistiques, elles manifestent leur présence actuelle au sein des Belles-Lettres 5. La présente étude vise à démontrer comment F.F. est parvenu à dépasser les frontières
1 Désormais, nous désignerons Félix Fénéon par ce diminutif sous lequel était connu l’écrivain. Ces initiales sont aussi la signature qu’il apposait à la fin de ses premiers articles et de ses lettres.
2 À l’exception de quelques grands noms, Burnau-Varilla, le directeur du “ Matin ”, interdisait à ses collaborateurs de signer leurs articles.
3 “Le Matin”, 10 octobre 1905, p.3.
4 Désormais, les “ Nouvelles en trois lignes ” sont désignées par ces initiales.
5 La bibliothèque nationale de France les classe dans la rubrique de la littérature. (http://data.bnf.fr/16908510/felix_feneon_nouvelles_en_trois_lignes/, 28/4/2015.)
entre le fait divers et la nouvelle littéraire et à transposer les préoccupations de son temps dans un univers qui tient davantage de la poétique que de la chronique.
Notre recherche s‟articule sur trois axes. Le premier chapitre consiste à révéler comment l‟anarchisme de F.F. s‟exprime le mieux dans ses brèves. L‟antimilitariste, l‟anticlérical refuse toute contrainte découlant des différentes institutions de l‟État : l‟armée et l‟église. Il s‟engage à dénoncer l‟injustice, la répression et aspire à une vie libérée de toute forme d‟autorité spirituelle ou morale. Les NTL dévoilent l‟engagement d‟un écrivain sensible à la misère sociale, aux conditions de vie et de travail précaires dont souffre le peuple français durant la Troisième République.
Nous avons également démontré comment les nouvelles de F.F. représentent les symptômes des dérèglements de la vie sociale en France. D‟une part, une répartition des faits divers selon le type d‟événements sert à analyser la réalité sociale dans sa dimension quotidienne. Elle a prouvé que la violence est omniprésente, dans la société française, sous toutes ses formes : accidentelle, meurtrière, économique, gréviste et morale.
D‟autre part, la distribution des nouvelles selon leur origine géographique illustre l‟image de la ville perçue comme un milieu dangereux, corrupteur et criminogène, par opposition au monde rural, stable et sécurisant, peu bouleversé par les crimes et les délits. Le progrès du machinisme et le développement de l‟industrialisation qui causent la mutilation
et l‟anéantissement de l‟homme, sont éminemment dénoncés dans les nouvelles.
Le second axe s‟appuie sur une analyse des NTL en tant que faits divers. Nous avons examiné, dans le second chapitre, les stratégies énonciatives adoptées par F.F. et son positionnement par rapport au texte. Au chroniqueur, l‟auteur emprunte l‟effacement énonciatif, le recours aux témoignages des acteurs, rapportant les faits sous une forme apparemment distanciée. Du nouvelliste, il puise un positionnement discursif et une attention plus réflexive sur les marques de subjectivité, notamment les modalisateurs d‟énoncés et d‟énonciation, en même temps qu‟une posture ironique révélant sa vision de critique.
Par ailleurs, nous avons montré comment les nouvelles sont construites à la jonction des deux mouvements qui, selon la théorie de Barthes, articulent la structure du fait divers. D‟un côté, F.F. met en évidence une causalité désincarnée par l‟absence du motif ou par son incongruité et sa disproportion par rapport à l‟acte accompli. De l‟autre, une coïncidence ordonnée transgresse le parcours figuratif vraisemblablement attendu, soit par le rapport de contrariété qu‟elle établit entre les choses, soit par la répétition inlassable des événements.
Le dernier chapitre expose le troisième axe de l‟étude, qui vise à explorer la littérarité des brèves de F.F. Nous avons montré dans quelle mesure les NTL respectent/transgressent les six critères du récit, établis par J-M. Adam, à savoir : la succession d‟événements, l‟implication d‟intérêt humain (au
moins un acteur-sujet), la transformation des prédicats, l‟unité d‟un procès, la causalité narrative d‟une mise en intrigue et l‟évaluation finale (explicite ou implicite).
L‟analyse des (dis)continuités narratives des NTL, des interférences entre temps du récit et temps du commentaire, du style vigoureusement ironique, de l‟écriture lacunaire, elliptique qui fait appel à l‟imagination du lecteur, permet de mettre en évidence une perméabilité des frontières entre le médiatique et le littéraire. Les événements ancrés dans le réel par leur contexte de référentialité directe, sont sublimés au rang de récits fictionnalisés, faisant des NTL une oeuvre tendue entre l‟actualité du monde factuel et la permanence du monde fictionnel.
Ainsi les NTL représentent-elles un lieu de rencontre du littéraire et du médiatique, où se reflètent les dérives et les instabilités sociales dans un univers dominé par la violence qui se manifeste sous ses multiples formes. Le journaliste saisit dans la condensation du reportage de faits divers la possibilité de franchir les bornes entre l‟écrit utilitaire et l‟écrit esthétique, en faisant de la rubrique des “chiens écrasés ”1 une oeuvre littéraire